En Thuringe, 5 Jeunes d'un Group de 16 sont Morts d'Épuisement dans un A.E.L

Jean GRIET, raflé à 18 ans à Paris en mai 1944, témoigne...

Dimanche 15 octobre 1944. La ville de GERA où est situé, à proximité, le camp de travailleurs forcés, a été bombardée une nouvelle fois. Une grande partie des travailleurs de repos ce dimanche est désignée pour déblayer la ville. Le soir, sur le chemin du retour ces jeunes STO chantent la Marseillaise, le chant du Retour.

Jean Griet

Averti de ce que nous venions de chanter (j’apprendrais plus tard qu’un SA alsacien y avait ajouté l’Internationale), la police embarquait le soir même 16 d’entre nous dont je faisais partie. Après une nuit et un jour à la prison de GERA, nous sommes acheminés en wagons à bestiaux vers l’ ARBEITSERZIEHUNG-LAGER, sinistre camp de rééducation. Dès l’entrée, nous ressentons l’impression que nous ne ressortirons pas vivants de ce camp. Devant nous, un détenu est là, râlant

sous les gouttières, à demi nu et couvert de sang. Il est brutalement poussé par les gardiens et s’affale dans la boue, incapable de se relever. C’est alors qu’entourés d’une nuée de kapos, la trique et la schlag s’abattent sur nous. Un kapo serbe crie dans un mauvais français « Ici à RÖMHILD, on tient le coup ou l’on crève... »

Dès le lendemain, avec 150 gr de pain, un gobelet d’ersatz de café et un morceau de margarine, nous nous retrouvons à la carrière. La pluie tombe à verse et nous sommes trempés jusqu’aux os. Je cogne de toutes mes forces sur les énormes morceaux de basalte sans prendre le temps de souffler. Ce qui n’empêche pas de prendre de nombreux coups de gourdin.

Trois jours à la carrière puis en commando près de MUNTHAUSEN pour creuser des tranchés. Nous pataugeons dans l’eau et la boue mais nous sommes moins battus. La semaine suivante, deux Français n’appartenant pas à notre groupe de 16, s’évadent avant la fin du travail. Arrivés au camp nous sommes roués de coups avec promesse

que six d’entre nous seront fusillés si les deux évadés ne sont pas repris. A 23 heures, ces derniers sont repris et le lendemain devant les détenus rassemblés, ils étaient pendus.

Quelques jours après, avec 4 camarades, nous sommes convoqués au bureau du commandant du camp pour un interrogatoire ponctué de coups de bottes et de schlag puis jetés tous les 5 dans un réduit sous un escalier, tout juste assez long pour s’allonger sur une planche pas assez large pour deux. Nous faisons nos besoins dans un coin du réduit. Pendant 9 jours dans le noir mon moral est au plus bas. Les détenus, de corvée dans le coin, nous glissent des morceaux de neige au dessus de la porte pour étancher notre soif. Au bout de 9 jours nous sommes libérés sans connaître les raisons de notre détention. Quelques jours après, mon ami Roger FUSIL, qui n’a pas supporté cet enfermement, meurt dans d’atroces souffrances. C’est à la fin de la 9e semaine d’AEL que notre groupe réduit à 11 est libéré. 5 sont morts dans ce camp infâme surnommé « la colline de la mort ». Nous sommes le 19 décembre 1944, jour anniversaire de mes 19 ans. Accompagné de mon épouse, je suis retourné sur les lieux de cet AEL en 1997, après deux tentatives infructueuses durant l’époque de la RDA. Il ne restait rien de ce camp de triste mémoire, hors quelques blocs de béton. Une stèle est érigée au cimetière de RÖMHILD où sont gravés les noms de mes 5 camarades disparus et de 25 autres Français qui ont péri dans cet AEL entre octobre 1943 et mars 1945. Combien de morts de toutes nationalités dans ce sinistre LAGER ? Pourquoi la France n’a-t-elle pas voulu reconnaître officiellement l’existence de ces camps qu’HIMMLER lui-même considérait comme plus terrible qu’un camp de concentration !

Faut-il s’étonner enfin que le commandant du camp responsable des sévices et de la mort de tant de travailleurs ait trouvé refuge en RFA avant que l’armée soviétique remplace l’armée américaine en THURINGE en août 1945 ? Il a tranquillement exercé la profession de conseiller juridique jusqu’à sa retraite sans être inquiété !

Jean GRIET

Note de la Rédaction.

La THURINGE a lancé dès les dernières années 90 des travaux pour créer une base de données, aujourd’hui achevée, de toutes les victimes du travail forcé dans la région et estimées à 60 000 environ. Dans cette base nous avons relevé les causes « officielles » des décès des Français. Les deux pendus dont parle Jean GRIET, l’un est mort « par empoisonnement par de la viande » et l’autre par « arrêt du cœur ». Pour les 5 du groupe de 16, les causes du décès vont de « l’arrêt cardiaque », « crise cardiaque », « catarrhe de l’intestin ou de l’estomac », « faiblesse », « hydropisie » (nom féminin de vieilli)... On savait la méticulosité de l’administration des camps dans la tenue des livres de décès... Ces morts avaient 18 et 20 ans, en pleine santé quelques mois plus tôt !